Journal du dyserteur
Journal du non-lieu / Journal du non-dit / Journal du non-lieu-dit / Journal du dit mille lieues sous Taire
3005
Atelier d’art
Aujourd’hui A. veut faire « des métiers à tisser ».
A. confond les mots semblables et similaires, des mots à double sens, les mots qui changent et les phrases qui se ressemblent. Elle confond « les nuances subtiles ». Elle confond le scoubidou et le bigoudi (dit-elle en faisant un scoubidou), elle les confond dans la forme de la lettre, les B, les I, les OU. Elle confond orange et original, dans la couleur, dans la « semblabilité », « . « J’interprète autre chose que ce que j’ai compris. C’est pas grave si ça s’entremêle ».
Je lui propose de tisser les mots pour coudre un poème.
Extrait du poème « bigoudi et scoubidou »
Je confonds les bigoudis dans les cheveux et le fil à tisser entre les mains… c’est pas grave si il y a des blessures et des ratures
Extrait du poème « Orange, original »
J’aime les oranges de fruits et l’originalité de mes tableaux. Les deux mélangés forment un monde coloré
J’aime les fruits oranges, j’aime les originaires, j’aime les triangles losangés
Après le poème, elle me dit « c’est pas grave si il y a des ratures dans l’espace ». A. est naturellement dans le poème. Quand je lui demande d’écrire de la poésie elle en sort. Je capte ses mots en dehors du poème: Ce qui fait poésie, c’est le dehors du mot, celui qui échappe au sens, celui qui ne veut pas faire poésie, celui qui lutte contre le sens.
Elle confond dans le son du mot: « dictature, tyrannie, démocratie, anarchie. Les formes de gouvernance, c’est pas beau pour la poésie ».
Dans un deuxième temps je lui propose de tisser une histoire avec ses objets.
A. fait comme elle peut avec « les ratures dans l’espace ».
1105
Dans mon catalogue d’objets invendables, je vous présente une roue de bicyclette posée sur un tabouret à l’envers.
Roue de bicyclette trouvée devant le musée d’art moderne de Paris, elle date de 1913. Les musées ont visiblement foutu Marcel à la porte.
Dans mon catalogue d’objets invendables, je vous présente le Parpaing de Pantin.
Parpaing trouvé à la sortie de la galerie Thaddaeus Ropac après l’expo d’Anselm Kiefer. La direction de la galerie a refusé la proposition de Kiefer « mettre de l’eau dans son parpaing », j’ai donc récupéré ce morceau de tableau pour « faire passer ma colère ». Il sert à présent de support pour les anonymes
Catalogue d’objets invendables
Dans mon catalogue d’objets invendables, je vous présente le gâteau cendré, cloué et charbonné.
Gâteau pour Vegan sans gluten
- 300 g de cendre.
- 280 g de clous.
- 80 g de charbon.
- 500 ml de crachats non fumeurs.
- 8 bêtes à bois brûlés
- 1 c. à café d’acide citrique
- 1 c. à soupe d’huile de lin bio
Dans mon catalogue d’objets invendables, je vous présente le papier toilette c-laouate. Le papier toilette a été longtemps considéré comme objet de luxe, il s’est généralisé vers les années 1960.
Dimensions
7 feuilles blanchies mesurant 9,5cm de large et 70 cm de long.
Matières:
Chlore, toxique pour l’anus, ouate de Cellulose car de toutes les matières c‘est la ouate qu’elle préfère
Ce papier à la texture souple et délicate arraché au toilette de la galerie d’art Thaddaeus Ropac est à présent un objet rare et de collection.
Selon Rabelais: « Tousiours laisse aux couillons esmorche
Qui son hord cul de papier torche »
1005
Expo
Für Anselm Kiefer,
Il y a l’odeur du plomb qui coule dans ma gorge
Il envahit mon corps cloué au sol
Lourd le corps, dur le sol.
Entre chaque respiration, une brûlure.
Dans la texture épaisse des couleurs
un territoire arraché à l’oubli
La chair du tableau fait tomber le masque d’un réel écorché vif
Je marche la tête à l’envers dans ce monde détruit
et dans le craquèlement, un équilibre au bord du vide
Fragile,
je rentre enfin chez moi dans ce gris mélangé au soleil
0505
Journal 0505
Il suffira d’une étincelle dans un désert corrosif pour mener une révolte à double sens : « créer-détruire » ce monde
0205
DECHIRURE 2504
0105
Catalogue d’objets invendables
Dans mon catalogue d’objets invendables, je vous présente la machine à coudre la musique, c’est une singer immanquablement. Il suffit d’insérer son vinyle et de pédaler dans le vide, la musique tournera en boucle silencieusement.
2504
La déchirure du jour: la grève et ses longueurs de retard, la panne de courant sur la ligne 8 du métro, le sac lourd, « la réalité rétrécie » dans les choses de Georges Perec, la parmigiana trop huilée. Ne pas oublier de vivre avec ses atrophies, ne pas rester au stade du ratage, essayer de « rater mieux ».
DECHIRURE 2504
1504
Photographie d’anonyme
Photographie de tournage: ce gamin-là de Renaud Victor. Film qui retrace la « tentative Deligny« :
« Quand on se met du côté des mutiques, c’est le langage qui a une drôle de gueule. »
Photographie de tournage: Crio Cuervos de Carlos Saura.
« Ana, 9 ans, ne dort plus la nuit dans la grande maison madrilène familiale. Ses parents sont morts récemment. Sa mère s’est éteinte de chagrin et de dépit amoureux, son père a succombé à une maîtresse vengeresse.
Témoin de ces deux morts malgré elle, Ana refuse le monde des adultes et s’invente son univers. Elle s’accroche à ses rêves et ses souvenirs pour faire revivre sa mère et retrouver son amour. »
1004
Différence et répétition
Cligner des yeux d’un souffle voilé à une image, d’un vacarme à un souvenir, d’un carrefour modifié à une route barrée, de l’orage à la nuit, d’un amour au silence, d’une braise à la cendre. Cligner des yeux dans l’ombre et la lumière, dans la limite et l’oubli, dans la perdition et l’épuisement.
Entre chaque larme perlée, entre chaque nuages cabossés fermer les yeux.
Découper le soleil, remettre à sa place la lune et s’éclipser.
0604
Atelier d’art
« C’était mon anniversaire, j’ai entre 27 et 31 ans »
« On invente d’autres mots ou on reprend les mêmes ? »
Aujourd’hui A. souhaite travailler sur le triangle et la musique classique. Le triangle est un son fin et aigu or argenté.
A. va chercher son matériel: 1 règle et 3 feutres bleus : Le bleu foncé, le bleu clair et elle cherche la couleur entre… le bleu jour ! s’exclame t’elle.
Je me rapproche pour ne pas qu’il y ai d’erreurs. Sur sa feuille de papier, A. réduit l’espace entre ses écritures et son cadre. J’ai peur de faire des erreurs me dit-elle, je lui demande ce que c’est qu’une erreur ? Des comportements mal habiles.
Sur son premier dessin, elle trace 3 formes géométriques: le triangle, le rond et la barre.
Je lui propose pour l’atelier d’aujourd’hui de garder cette règle des 3: avec vos 3 couleurs, vous allez faire 3 dessins en utilisant uniquement ces 3 formes géométriques organisées différemment.
Plus c’est fin dans l’infini de la perception de la pensée mieux c’est dans l’étroiture des choses… quand ça ne sort pas dedans.
Pour chaque dessin A. écrit le titre, ce sont les éléments qui apparaissent dans son dessin, puis elle souligne le titre, encadre, et colorie l’intérieur du cadre dans une couleur plus claire pour ne pas que les lettres s’effacent. Dans un deuxième temps, elle trace un second cadre, elle écrit un sous-titre, le souligne, encadre et colorie à nouveau, elle dessine dans un autre temps ses formes. L’écriture lui donne une structure, lui permet d’organiser sa pensée et son tracé. Le cadre semble contenir les formes. Quand je l’interroge sur cette notion de cadre, elle me dit qu’il a deux fonctions: fermeture en premier et ouverture après. La fermeture pour que ça soit précieux qu’on n’y touche pas et l’ouverture pour montrer aux gens.
Pascal disait à propos du cadre que c’est un centre qui est partout et une circonférence qui n’est nulle part. Ainsi, le cadre est paradoxal: il est à la fois ce qui découpe et isole mais dans le même mouvement ce qui relie et rassemble.
Pour son deuxième dessin, elle me/se demande si elle prend d’autres mots ou si elle en invente d’autres. Je lui propose d’en inventer d’autres: J’ai repris les mêmes mots dans la même semblabilité, j’écris des mots de toutes les qualités ou je déforme, ou j’invente d’autres mots. Un temps. J’inventerais d’autres mots mélangés. La science des points ça se mélange. Un temps. Depuis que je vous connais, tout est au point. J’aurais voulu que tout soit compact, logique, uniformisé, affaire doublée à double tour.
Dans ces 3 dessins, à partir du même, le différent surgit selon l’agencement des formes et des couleurs. A. se déplace, introduit des variations, possibilise le changement, accueille l’Événement. Est-ce que je mets des morceaux de pics bleu nuit ?
Fin de l’atelier.
2703
L’espace commence ainsi, avec seulement des mots, des signes tracés sur la page blanche. Décrire l’espace: le nommer, le tracer, comme ces faiseurs de portulans qui saturaient les côtes de noms de ports/caps/criques, jusqu’à ce que la terre finisse par ne plus être séparée de la mer que par un ruban continu de texte.
L’inhabitable : la mer dépotoir, les côté hérissées de fil de fer barbelé, la terre pelée, la terre charnier, les monceaux de carcasses, les fleuves bourbiers, les villes nauséabondes
L’inhabitable : l’architecture du mépris et de la frime, la gloriole médiocre des tours et des buildings, les milliers de cagibis entassés les uns au-dessus des autres, l’esbroufe chiche des sièges sociaux
L’inhabitable : l’étriqué, l’irrespirable, le petit, le mesquin, le rétréci, le calculé au plus juste
L’inhabitable : le parqué, l’interdit, l’encagé, le verrouillé, les murs hérissés de tessons e bouteilles, les judas, les blindages
L’inhabitable : les bidonvilles, les villes bidon
Georges Perec, Espèces d’espaces, extraits
« Espèces d’espaces »
Photographies d’anonyme
Dimanche anonyme sous la neige, voyage en Europe du Sud-Est, en ex Yougoslavie: Sarajevo, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Serbie, Slovénie. Période 1935 et 1957.
Dans cette collecte du jour, j’étais sensible à la neige, à la fête, aux sourires (même celui du mort) et l’air malicieux de ces enfants…
Mais, le moment de grâce, c’est cette femme nue se regardant dans le miroir.
1203
Atelier
Paul Klee, magicien des signes
Atelier d’art avec A. sous la lumière des mots et des peintures de Paul Klee.
A. va sous la couette, en boule dans son petit lit, elle attend que je lui lise les mots de Paul Klee.
« Contrastes simultanés ». Arrêt sur image : dans ses peintures, pour séparer le premier plan du second plan, Paul Klee emploie le terme de « contrastes simultanés », expression qui plaît à A. Il écrit dans son journal que la peinture polyphonique est en ce sens supérieure à la musique que le temporel y est davantage spatial. Et que la notion de simultanéité s’y révèle plus riche encore. L’historien d’art Jean-Loup Korzilius, parle du désir de Paul Klee de rattacher la création à une « réalité supérieure ». Je demande à A. à quoi elle rattache sa création ? Elle me répond : « Je calcule tout dans la réalité, une partie réelle que j’ai appris et je la mélange avec des objets abstraits. C’est un monde imaginaire. C’est pas grave si les idées sont mélangées dans le désordre. Il faut que je sois en meilleure santé, alors, je fais le vide … Principes, méthodes, symboles, légendes, propriétés, signes, consignes, signature, lois, règles » ces éléments apparaissent dans son dessin dans un ordre possédant ses propres lois, Bergson disait que le désordre est un ordre auquel on se s’attend pas.
Paul Klee inscrit des portées musicales dans ses tableaux, il les transforme en bâtons, chiffres, fragments de textes, formes géométriques.
Dans la peinture, gare L 112, 14 km, Klee peint une bande grise au centre de la peinture. C’est une « zone de repos » dans les rythmes colorés. Je demande à A. si elle a une ou plusieurs « zone de repos » inscrite dans son dessin ? Elle entend « heure de repos ». Son « heure de repos » est entre chaque tableau. Tandis que sa « zone de repos » est toujours en bas de la page. Là où elle laisse un vide. En haut c’est « lumineux » il y a le titre. Au milieu, ce sont les formes et les couleurs et en bas la zone de repos.
L’atelier se termine par la recherche d’une métaphore. Klee trouve la sienne en parlant d' »anatomie de ses tableaux », il emploie les mots: « chair, peau, squelette ». J’accompagne A. dans la métaphore pour résumer son processus de création, elle puise ses mots dans sa logique concrète « ce sont des propriétés du tableau », je lui parle alors de poésie, d’images… elle me répond que ses dessins sont comme un coeur de graffiti géométrique.
Fin de l’atelier: « je ne sais plus où j’en suis dans les inondations »
1103
Photographies d’anonyme
Ce qui m’a touché aujourd’hui, c’est cet homme qui marche sur le bord du lac les bras croisés derrière son dos. Je l’imagine préoccupé par une écriture qui tarde à venir… plus loin, cette femme vêtue de noir, debout, la main gauche dans sa poche, elle porte le deuil dans ses yeux et dans sa façon de tenir, encore debout. Il y a le sourire des femmes le 14 juillet 1942 « sur la route du retour ». Quelle route et pour quel retour ? En haut, près du ciel, le sommet des montagnes enneigées, blanc comme cette dame habillée à la fin de la seconde guerre mondiale, elle se tient droite avec quelques appuis, elle esquisse un sourire, peut être le premier depuis longtemps. Ce sourire il est pour celui et celle qui regarde aujourd’hui sa photo, je l’interprète comme un signe de paix qui tarde à venir. En 1958, 13 ans après, il y a le regard de ces amoureux sur les sables d’Olonne et la tendresse qu’ils ont l’un pour l’autre. A une autre époque, un autre regard : francs et graves de l’enfant, la mère et la grand-mère pendant une promenade dominicale. A peu près à la même époque, dans un autre lieu, ce groupe d’amis qui font une pause vélo en buvant du vin. De l’autre côté de la rue, une voiture qui brûle et les gens au loin qui la regarde se consumer jusqu’au trou noir qu’elle laissera. Il y a ce beau vieux monsieur avec un sourire timide et le jeune écrivain qui regarde la ou le photographe. Il y a cette femme dans les montagnes qui a choisi certainement sa plus belle robe. Dans la jardin, la fougue de cet enfant qui court. A table, une vieille dame seule se laisse photographier. Et puis, ce monsieur qui me fait penser à Albert Dupontel, il est accompagné de deux belles femmes pétillantes. De l’autre côté du monde, un enfant regarde l’objectif pendant que sa mère visite une maison en construction…
Ces histoires passées sont à présent entre mes mains, dans mon regard, avec une immense tendresse pour ceux qui ne sont plus là et que je n’ai pas connu. Ces « anonymes » dont je vais prendre soin en restaurant leur histoire.
0903
Lignes de fuite
Un homme gravement malade se remémore son passé et rassemble les souvenirs qui ont marqué son existence : la maison de son enfance, sa mère attendant le retour improbable de son mari, les poèmes de son père…
Tracer les lignes de fuite du miroir de Tarkovski me permet de marquer un temps de pause, de stabiliser mon regard dans l’image fuyante.
Les lignes de fuite comme souvenir de ce qui est entrain de disparaître.
Lignes de fuite du point de vue de l’enfant regardant sa mère qui se lave les cheveux dans une bassine, lignes de fuite d’un regard par la fenêtre avec la parole du poète Arseni Tarkovski tout en ce monde se transforme, lignes de fuite de la maison qui brûle avec deux êtres regardant le feu. Superposition des lignes de fuite.
0703
DECHIRURE 0703
Chaque jour vécu est un jour en moins à vivre.
Journée d’absence déchirée. Un blanc à dire.
Cette nuit, mon image disparaît, je regarde le miroir de Tarkovski pour me souvenir.
0403
Photographies d’anonyme
Guerre 14-18, il y a des soldats du 51ème RI qui théâtralisent la pose photo. Il y a un circassien de la 41ème DI, pendant la trêve, explorant ce fragile équilibre dans un collège de jeunes filles. Il y a un soldat donnant à manger à son chien. Il y a ce groupe d’amis cueillant les fleurs qui repoussent après la guerre.
Et puis il y a celui qui joue à se pendre…
Il y a un vaisseau qui a emporté ma bien-aimée
Il y a dans le ciel six saucisses et la nuit venant on dirait desasticots dont naîtraient les étoiles
Il y a un sous-marin ennemi qui en voulait à mon amour
Il y a mille petits sapins brisés par les éclats d’obus autour de moi
Il y a un fantassin qui passe aveuglé par les gaz asphyxiants
Il y a que nous avons tout haché dans les boyaux de Nietzsche deGœthe et de Cologne
Il y a que je languis après une lettre qui tarde
Il y a dans mon porte-cartes plusieurs photos de mon amour
Il y a les prisonniers qui passent la mine inquiète
Il y a une batterie dont les servants s’agitent autour des pièces
Il y a le vaguemestre qui arrive au trot par le chemin de l’Arbreisolé
Il y a dit-on un espion qui rôde par ici invisible comme l’horizondont il s’est indignement revêtu et avec quoi il se confond
Il y a dressé comme un lys le buste de mon amour
Il y a un capitaine qui attend avec anxiété les communications de laT.S.F. sur l’Atlantique
Il y a à minuit des soldats qui scient des planches pour les cercueils
Il y a des femmes qui demandent du maïs à grands cris devant unChrist sanglant à Mexico
Il y a le Gulf Stream qui est si tiède et si bienfaisant
Il y a un cimetière plein de croix à 5 kilomètres
Il y a des croix partout de-ci de-là
Il y a des figues de Barbarie sur ces cactus en Algérie
Il y a les longues mains souples de mon amour
Il y a un encrier que j’avais fait dans une fusée de 15 centimètreset qu’on n’a pas laissé partir
Il y a ma selle exposée à la pluie
Il y a les fleuves qui ne remontent pas leur cours
Il y a l’amour qui m’entraîne avec douceur
Il y avait un prisonnier boche qui portait sa mitrailleuse sur son dos
Il y a des hommes dans le monde qui n’ont jamais été à la guerre
Il y a des Hindous qui regardent avec étonnement les campagnesoccidentales
Ils pensent avec mélancolie à ceux dont ils se demandent s’ils lesreverront
Car on a poussé très loin durant cette guerre l’art del’invisibilité
Guillaume Apollinaire
Photographie de peinture de G.Anezin (1982)
Carte postale
Carte de voeux 1952
Exposition Paris
Brocante sous la pluie : les images manquantes deviennent des présences
0303
Déchirure
Aujourd’hui, mon monoxyde de carbone est défaillant.
Atelier avec A. J’ai envie de rester éternellement tranquille… j’ai envie de rester éternellement dans mon coin, vous pouvez le marquer, dit-elle. Je prends des petites quantités de temps.
Sur des notes de Jazz avec des formes géométriques sur fond vert, j’accompagne A. à recoudre ses pensées.
0203
Triptyque 22H45 déchirure
Minuit quarante neuf: fin de la déchirure. L’art de montrer qu’il n’y a plus rien à voir. Sous les couches successives d’images signifiantes: des ruptures. Se détacher de ce qui pourrait faire « sens », aujourd’hui je déclare la mort-du-sens !
4H47: Je ne parle pas pour vouloir dire, je parle parce que je n’ai justement plus rien à dire.
Liste des courses: Cidre,pommes, jambon, gruyère, coton, eau.
Lire Il y a d’Appolinaire, étudier la théorie de la géométrie selon Daniel Arasse dans Leonard de Vinci, le rythme du monde « C’est le mouvement du point qui engendre la ligne, le mouvement transversal de la ligne qui engendre la surface, et le corps est fait par le mouvement ». Penser le passage de la surface à l’espace …
2502
Photographies d’anonyme
Voyage d’hiver dans le temps et l’espace.
Paris, février 2018: 1 degré.
Après une rencontre cinématographique aux ateliers Varan, Deligny avec son verbe camerer me donne un point de voir:
1960, en Algérie à Tlemcen des marabouts en ruine tandis qu’une femme à Montmartre se fait refaire le portrait par un artiste. Ailleurs, c’est la guerre, la mort et le froid. Sur la côte d’Azur, les femmes passent entre les mailles du filet.
Photographie mystérieuse d’un bagage sur un vélo… Est-ce le tour du monde à bicyclette ?
Dans les années 1990, un homme fume sa pipe après le repas, tandis qu’un Autre dans le flou lève encore le doigt pour parler.
2102
déchirure 2102
Message
Peinture sur mur
Dessin sur mur
Montmartre
Symbole
« Sois, ô poésie, mon riant asile » Hölderlin
1702
Je (me) traîne dans ce monde de poussière
Dechirure 17012
1602
La lettre effacée
Travoix
Murs
Littérature d’aujourd’hui
Bilan : J’écris de la poésie avec des lettres mortes
1502
« Moi, la vérité, « je » parle ». Lacan
Atelier d’art-thérapie
-Personne ne connaîtra la vérité. (un temps), ça ne se dévoilera pas. Il y a un voile noir.
-Un voile noir sur quoi ?
-sur toute la structure sociale.
elle termine ensuite son dessin en disant: C’est pas grave si il y a des traces.
A la fin de l’atelier A. enlève ses lunettes, se frotte les yeux et dit à voix basse : est-ce que mes yeux ont été propre ?
Avant et après l’atelier, j’écoutais justement sur France Culture, un podcast consacré à Lacan, avec Jean-Luc Nancy (philosophe) qui traite la question de la vérité chez Lacan et du voilement/dévoilement chez Heidegger, il dit très justement: savoir la vérité, c’est ce que ne peut pas le sujet Lacanien […] La vérité c’est ce qui ouvre la parole, c’est ce qui ouvre la possibilité que du sens s’envoie des uns aux autres, d’un sujet à un autre […] La vérité est une bouche ouverte et qui s’adresse aux autres […] La bouche qui parle ne produit aucune adéquation, elle ouvre la possibilité du sens. Chez Heidegger il s’agit de voilement et dévoilement à la fois: la vérité elle dévoile, elle montre quelque chose, mais en montrant, elle cache chaque fois, encore, à nouveau autre chose qui ne peut pas advenir comme une adéquation, comme une signification déposée. La vérité c’est ce qui ouvre le flux continu du sens, et ce flux, lui, n’aboutit à aucune vérité. On ne revient pas en arrière de l’ouverture de la bouche qui parle.
A. semble être le sujet Heideggerien et Lacanien. Dans ses dessins, elle ne dévoile pas tout. Quand ses yeux ne sont pas propres, elle me demande si je vois : est-ce que vous voyez que c’est un bijou ? Il est important que les gens voit ce que j’ai voulu représenter. Dans sa parole, elle ne dira pas la vérité, du moins pas toute,“ parce que toute la dire, on n’y arrive pas… Les mots y manquent… C’est même par cet impossible que la vérité tient au réel.” Lacan.
La vérité tient si tient le réel, si on s’y tient. Dans la vérité, on s’y cogne, elle se cassera toujours la gueule seule ou sur un autre!
1202
Lignes de fuite
Nostalghia, d’A. Tarkovski
Lignes de fuite d’un souvenir au regard lointain, lignes de fuite d’une femme qui passe, lignes de fuite d’une parole: la poésie est impossible à traduire, comme l’art. Superposition des lignes de fuite.
0702
Atelier d’art thérapie avec A.
« Toutes les autres logiques sont illogiques », dit-elle.
Sa logique est importante et nécessaire dans sa possibilité.
Rester chez elle et faire des dessins avec moi lui permet de garder sa logique: Tracer des traits droits, écrire le titre, souligner, encadrer le titre, dessiner un autre cadre, colorier les bords, dessiner des formes dans le cadre, remplir les formes et le fond avec des nuances de bleus, se repérer dans ces nuances, prendre en photo son dessin.
Le cadre dans le cadre maintient sa verticalité.
Pour inscrire des repères temporels, je l’invite à regarder par la fenêtre les couleurs du temps. Ses « temps détestés » c’est la neige et le froid, mais la nouveauté lui fait du bien de temps en temps, dit elle. Elle ne sort qu’au printemps.
Les mondes ne sont pas possibles, il y a pleins de désordre, c’est pas coordonnées.
Pour elle, le dehors c’est le monde à l’envers.
Degré Zéro
0602
Continuité / Discontinuité
Marcher à côté de sa ligne de fuite, changer de rythme, hésiter dans le froid, prendre une autre direction, tirer un trait, tracer sa rupture, effacer les traces de l’autre.
Mieux respirer avec le degré zéro.
Mesurer l’écart de langage, mesurer le temps de l’obscurité, mesurer l’illusion d’optique, oublier la profondeur, ne plus voir la perspective, perdre l’équilibre en mesurant les hauteurs
0502
Objets trouvés
Déchirure 0502
Tuyauterie d’anniversaire
Composition
Phrase du jour: les mots dont il se sert ne recouvrent que le vide. Maurice Blanchot.
De la déchirure dans les rues de Paris, des boîtes trouvées sur le trottoir avec vingt mini verres de vin permettant de réguler sa consommation d’alcool.
Cadeau d’anniversaire de V. : de la tuyauterie (je ne savais pas qu’un bout de robinet ancien pouvait me mettre autant en joie).
Chercher les mots dans l’écrit, ne trouvant pas, chercher encore. S’arrêter là.
2701
Déchirures
Lignes en construction
Lignes de fuite
13H02 Rencontre dans le RERe: Alain M. comédien « autiste », il aime mes chaussures et mes yeux, il porte un chapeau et me demande d’aimer ses yeux. Ils sont bleus. Je comprends un mot sur deux quand il parle, ce mot suffit à capter l’essentiel de sa pensée fugace et brisée. Il habite Bondy, aime Olivier Marchal, les tontons flingueurs et les blagues de Michel Audiard (qu’il s’empresse de me lire avec enthousiasme). Il me montre ses photos dans ses rôles d’acteurs, son agenda remplit: le 3 février visite médicale. Il me demande d’où vient mon accent, si j’ai des soeurs, où j’habite et ce que je fais. Puis, il doit descendre du RER, me serre la main et me fait la bise. C’était Alain M. un homme d’un autre temps avec un chapeau et de beaux yeux bleus.
17H30 Deux visages déchirés et des portes en construction.
17H45 En allant acheter le vin chez Nicolas, la vendeuse me parle en « on », quel est ce « on » impersonnel qui prend les décisions à ma place ? Ce « on » qui englobe nos vies et nous lie comme si « on » se connaissait.
20H30 Lignes de fuite de la brume. Première scène du film Nostaghia d’Andreï Tarkovski, lignes des regards des êtres présents et immobiles.
2501
Labyrinthe de paroles
Crue
12H La fragilité du réel dans le tissu épais de l’endormissement.
14H Atelier d’art-thérapie avec une jeune femme autiste : « j’ai un problème autistique avec les formes et les couleurs, je n’arrive pas à mettre le bleu clair et le bleu foncé devant ou derrière, sur l’encadrement ou en fond. La lumière je n’arrive pas à la remettre en place « . Après une parenthèse technique elle se questionne sur les lettres qu’elle ne verra plus si elle colorie en bleu foncé.
A. n’est pas « souple » dit-elle pourtant elle aime les courbes graphiques.
Au bout de 3 ans d’atelier d’art à son domicile, je teste une nouvelle formule: je dessine un « labyrinthe de paroles » quand elle entre dans ses répétitions langagières. Heure du débit 15H10, heure d’arrivée 15H36.
16H45 Mes rêves se projettent dans les lignes de fuite.
18H: Je fais tout tomber dans ce café bruyant, les élégies de Duino dans un bol d’élixir et « le vide se mit à vibrer de ce mouvement qui, aujourd’hui, nous saisit, nous console et nous maintient. » (élégie 1).
22H Je vis au dessous des eaux, si la crue m’inonde, je sauverais mes livres. J’ai bien peur que les mots des poètes s’effacent, qu’ils disparaissent et deviennent flous dans ce monde opaque.
2401
DECHIRURE 2401
MURS 2401
« Redresser la France », relever les murs, urgence de la parole, réparer le silence. Parler à la brume de l’aube des mots et rentrer chez soi en lambeaux. Oublier le pain, aller au restau. S’inquiéter de la crue et mesurer les trous d’évacuation. Se demander si Lacan a pensé au sujet mal barré ? Penser à Titanic And my heart will go on
and on.
2301
Alerte enlèvement
MAY B
©Bricage
DECHIRURE 2301
Comment exprimer les lointains ?
Lignes 2301
Bilan du jour : 2 déchirures dans le 93, Kenny McCormick retrouvé vivant pour la 98ème fois la tête dans une flaque d’eau. Lignes 2301 direction Juvisy pour un May B: chef d’oeuvre de Maguy Marin qui n’en finit pas de peut-être finir.
2201
Paris, république, journée « déchirure ».
J’ai bien peur qu’un jour, la parole m’oublie. Comment tombent les mots quand ils ne tiennent plus debout ?
Dans la part de l’ombre page 45, Tardieu écrit que l’espace qui dévore ce monde, dès qu’il franchit les bornes du visible, se dérobe dans l’irréel.
Aujourd’hui, ça n’est plus l’espace mais l’existence qui se résorbe dans un train fantôme.